«La construction du nœud» - Partie 2

 

Par Elsa Caruelle-Quilin – 2 mars 2021

 

« L'analysant ne changera pas, si il change, tout seul. Ou tous les deux changent ou rien ne change »[1] : l'analyse mutuelle de Férenczi n'était peut être pas, comme toutes les erreurs, sans vérité. Parler à quelqu'un, au grand Autre, au sujet supposé-savoir, parler au Un donc, ce n'est peut-être pas la «même Chose » que de parler « avec » quelqu'un. Dans l'expression, parler « avec » quelqu'un, nous repérerons une non-binarité des fins et des moyens à même le transfert : parler avec quelqu'un en effet, c'est aussi, en même temps, parler au moyen de quelqu'un, au moyen d'un outil. On parlerait avec quelqu'un en somme comme on entendrait avec un sonotone. Nous introduisons ici un questionnement sur une modalité contemporaine de transfert, notamment dans la prolifération actuelle des analyses en face à face.

 

Je vous renvoie à nos travaux précédent sur « l'avec », sur la construction du « nous » dans le transfert, dans le cas Lessavant pour n'en citer qu'un. Je vous renvoie au verbatim, non pas du patient pour une fois mais de l'analyste : « alors, nous deux, de quels côte on est ? ». Je vous renvoie aux conditions de possibilité de ce « nous » dans le transfert, notamment à la condition que l'analyste ne se prenne pas pour un psychiatre (ni pour un analyste non plus d'ailleurs), à la condition que l'analyste renonce à la binarité analysant/analyste, à la condition que l'analyste ne se prenne pas pour un grand Autre.

 

Je vous rappelle aussi l'accent que nous avons mis, dans le cas Lessavant entre autre, sur une grammaire transitiviste dans le transfert : « on peut au moins se faire confiance sur le fait qu'on ne se soit pas rencontrés ». L'opposition signifiante binaire entre l'un et l'autre est, dans ce transfert, suspendue : impossible, pour un temps, de trancher entre « on peut se faire confiance à soi-même » ou « on se peut se faire confiance mutuellement », impossible, pour un temps, de trancher entre le fait de ne pas s'être rencontrés soi-même ou de ne pas avoir rencontré l'autre. Parler avec quelqu'un, relèverait, dans le transfert, d'une non-binarité du moi et du non-moi, comme le repère Winnicott dans l'espace « trans-itionnel ». Parler avec quelqu'un relèverait d'une ambiguïté qui suspendrait la binarité de l'Un et l'Autre. Cette suspension, cette indécidabilité soi/non soi ne serait pas, notons-le,  une fusion, mais bien plutôt l'affirmation d'un non-rapport : « on peut se faire confiance sur le fait qu'on ne se soit pas rencontrés » (cf cas Lessavant). Nous pouvons au passage entendre la non-binarité contemporaine comme une tentative d'élaboration de cette ambiguité fondamentale, pour ne pas dire fondatrice, repérée par Freud dans L'Esquisse avec la question du prochain (voire travaux précédents). L'ambiguïté fondatrice, c'est peut-être ce que certains appelle le queer, ce que Winnicott appelait le « tran-sitionnel », ce que Berges appelait le « trans-itivisme »...

 

Ca semble à priori très abstrait tout ces « trans ». Il me semble que nous pourrions le reprendre très concrètement, c'est à dire tout à fait bêtement, en nous servant nœud borroméen. Quel serait donc cet imaginaire non structuré par la binarité moi/non moi, cet imaginaire non spéculaire?

 

Partons donc, tout à fait bêtement, du nœud classique, disons du nœud de base, celui que Lacan appelle le nœud primitif.

 







 

Il y a deux temps sur le nœud classique, deux croisements, comme chacun peut le constater : un premier croisement forcément centrifuge (triskel central), un deuxième croisement forcément centripète, ce sont les contraintes purement (bêtement) physiques du nœud. Il ne s'agit pas là d'intellectualiser le nœud, mais de se soumettre à sa structure.

 

Comme nous avons lu Freud, nous savons que le sujet classique, c'est à dire le sujet hystérique, est commandé par la temporalité de l'après-coup : c'est un sujet qui se retourne sur son lapsus, sur son rêve, un sujet en retard donc, un sujet centripète. C'est le sujet de la mémoire, le sujet qui se retourne sur le passé dans son analyse, c'est le sujet qui se retourne sur lui-même, devant le miroir (stade du miroir, imaginaire spéculaire). L'après coup, ce retournement sur soi donc (ou plutôt le retournement comme formation de soi), ce retournement sur son lapsus, sur son histoire, c'est ce deuxième temps sur le nœud, le mouvement forcément centripète de retournement, le deuxième croisement. La temporalité de l'après-coup, c'est ce que nous connaissons comme nœud de référence : en deux temps donc, deux croisements, la fermeture du nœud classique sur un temps centripète.

 

Or, il arrive que soit vital, au sens où nous l'avons étudié ces dernières années, la suspension à l'infini de ce deuxième temps, du deuxième croisement centripète du nœud. Je vous renvoie aux travaux précédents sur le déclenchement de la psychose comme fermeture des droites sur le lapsus de nœud (deuxième croisement centripète) qui provoque une catastrophe imaginaire [2]

 

 

Lapsus de nœud/forclusion du Nom du père




 

 

 

La forclusion en 3D (lapsus S/R=I dénoué et non troué), mort du sujet[3]






Je rappelle pour mémoire, entre autres, celui que nous avons pu appeler l'enfant au hibou ou celui que nous appelons, avec Marcel Czermak, l'homme aux paroles imposées[4], mais il ne manque pas d'autres démonstrations cliniques ces dernières années dans nos travaux à l'Ecole de Saint-Anne sur la systématicité de ce que nous avons pu repéré comme nœud de la forclusion et la nécessaire suspension du deuxième temps centripète dans la cure avec les psychoses.

 

Nous ne pouvons pas reprendre ici tous les développements précédents mais contentons nous de constater physiquement, bêtement donc, qu'il est possible de suspendre le lapsus de nœud (et ses conséquences catastrophique sur  l'imaginaire dénoué), en ouvrant les droites à l'infini, qu'il est possible, voire nécessaire, de suspendre la temporalité dite de l'après-coup (sous peine de mort du sujet).  

 

 

Suspension vitale du lapsus de nœud, relance centrifuge à l'infini : imaginaire délesté de la force centripète du miroir (deuxième temps), imaginaire non-spéculaire donc mais paradoxalement non-dénoué (espace trans)

 



 


Une femme dit en séance, à propos de ses expériences de mort du sujet : « la mort c'est ne pas être bercée par l'infini de l'autre... après construire mon propre infini mais d'abord... pour moi... ça passe par être bercée par l'infini de l'autre ». L'analyste : « qu'est ce que ça vous fait d'être bercée par l'infini de l'autre ? ». Elle « ça ouvre mon univers, ça me fait sentir la présence de l'autre en face de moi » (transfert à vif). On entend très concrètement, c'est à dire à même le transfert, la nécessité vitale d'ouvrir le nœud à l'infini dans la cure d'un psychotique. Notons au passage la proximité avec la logique de « l'action spécifique » du prochain dans l'Esquisse que nous avons mise au travail l'année dernière. Je vous renvoie là encore au travaux précédents quand aux implications pragmatiques, tout à fait concrètes, de cette suspension de la temporalité de l'après-coup pour ce qu'on appelle la direction de la cure (voire le cas de l'enfant au hibou[5]).

 

Dans cette suspension infinie de la fermeture sur le deuxième temps, notez que la binarité névrose/psychose, la différence structurelle donc n'est pas forclose ou récusée, elle est suspendue, pour un temps : à tout moment, c'est d'ailleurs le danger de la psychose, les droites peuvent se refermer dans un mouvement centripète et signer l'arrêt de mort de l'analysant psychotique (voire le cas de l'enfant au hibou[6]). 

 

Voilà pour les travaux précédents. Pour aujourd'hui la question pourrait-être : qu'est ce que certains appellent « Etats limites » ? Qu'est ce que Melman appelle l'homme sans gravité ? Comment Perec peut-il dire « je n'ai pas de souvenirs d'enfance » ? Certains sujets ne connaissent pas de levée de l'amnésie infantile même après 25 ans d'analyse, quelques bribes parfois, histoire d'être de bons analysants, des analysants comme il faut, des analysants qui font plaisir à leur analyste. Certains sujets donc ne se retournent pas sur eux-mêmes, sur la temporalité de l'histoire, certains sujets suspendent le deuxième temps centripète sur le nœud. Ce seraient donc des sujets entièrement soumis à la force centrifuge, c'est à dire au premier temps du nœud (premier temps aussi nécessairement centrifuge que le deuxième temps est nécessairement centripète). Certains sujets, sans être psychotiques pour autant, c'est là mon hypothèse, seraient mus par une sorte de fuite en avant (force centrifuge), de précipitation temporelle dans l'acte ou dans l'écriture par exemple, dans le cas de Perec (dans l'écriture, c'est à dire précisément pas dans la lecture après-coup). Certains sujets suspendraient, parfois infiniment, le deuxième temps centripète, le temps le retournement sur soi, le temps de l'après-coup, de la fondation du passé, de la mémoire, le temps de l'histoire lue, le temps de la « formation » de l'inconscient au sens littéral.

 

Entre deux croisements du nœud donc le signifiant « Etats-limites » ne paraît pas, à mon humble avis, très bienvenu. La limite relève de la coupure, nous serions en fait dans l'espace de l'entre-deux, espace entre deux croisements donc qui n'est pas sans écho avec l'espace de l'entre deux-morts de Lacan[7]. Je vous rappelle que nous avons repéré un autre espace entre-deux, non pas entre deux morts cette fois mais entre deux mises à plat du nœud.[8] Rappelons nous que cette entrée dans l'entre-deux se ferait très concrètement, non par coupure donc, mais par ce qu'on appelle une « transformation continue » du nœud (cf texte sur nœud en trois D[9]). En ce sens, non-binarité ou la fluidité, me semblent des signifiants plus opérants qu'Etat-limite, des signifiants inventés par les analysants. Entendez bien, là que je ne limite pas, précisément, la non-binarité à une question de genre, mais que je pose l'hypothèse de la non-binarité comme proposition logique généralisée, comme tentative de structuration d'un autre inconscient.  

 

On peut légitimement se demander ce qui pousserait la structure à la suspension de la fermeture du nœud si il n'y a pas de lapsus de nœud, pas de risque de mort du sujet, c'est à dire, si je suis mon hypothèse, si ce ne sont pas des psychoses. On pourrait romancer, faire des hypothèses, on pourrait penser, rêver sur cette suspension. Je vous propose de prendre la chose autrement, de prendre la question matériellement, c'est à dire toujours bêtement. Je vous propose de nous soumettre, sans réfléchir donc, à la structure du nœud : qu'évite la suspension de la fermeture sur le deuxième temps (temporalité de l'après-coup) ?

 

La binarité physique dessus/dessous, dans le nœud mis à plat, détermine la binarité névrose/psychose : lapsus de nœud ou nœuds de base (cf ci-avant). Mais il existe, très concrètement, une non-binarité dessus/dessous : la jonction. Ni dessus, ni dessous, ni névrose, ni psychose. Il s'agit donc de nous soumettre à cette possibilité non-binaire, juste « pour voir » comme on dit au poker, pour voir, c'est à dire par curiosité infantile, pour voir ce que serait un nœud qui suspendrait la binarité dessus/dessous, la binarité névrose/psychose donc.

 

 

 

 

Suspension de la binarité dessus/dessous, jonction.

 




 

 

 


 

 

A se soumettre bêtement à l'exercice manuel, on court le risque d'être surpris, voire de ressentir un moment de sidération, d'arrêt : le nœud sur lequel on tombe, c'est un nœud déjà connu, un nœud mythique en quelque sorte, celui que certains ont pu appeler le nœud du fantasme[10]. Il serait peut-être plus intéressant pour nous de nous contenter d'en référer à sa structure physique, soit de nous contenter de l'appeler « nœud binaire » (deux consistances au lieu de trois).

 

Un jour, elle promène son chien. Elle n'est pas sans savoir que son tout premier analyste n'habite pas loin de son nouveau cabinet à elle. Elle vient de finir son analyse, 25 ans plus tard. Elle suit le chien au hasard des rues. Elle se retrouve dans la rue de son cabinet à lui, sans y penser. Elle a tout oublié de cette première cure, tout oublié aussi de son enfance, du reste aussi d'ailleurs. Là où Perec dit qu'il n'a pas de souvenir d'enfance, elle pourrait se contenter de dire qu'elle n'a pas de souvenir. A l'époque de cette cure, elle avait quinze ans, elle était, dirons-nous, dans un état critique, pour insister sur la dimension de crise. Elle a tout oublié, le visage de l'analyste, son cabinet, ce qui a pu se dire... Elle se souvient pourtant le moment « juste avant » la première séance. Dans le chaos, elle errait dans les rues, elle se rappelle qu'elle marmonnait dans le vide « aidez moi, aidez moi » (appel du prochain, cf travaux précédents sur l'Esquisse). Elle se rappelle qu'elle ne trouvait pas l'adresse. Elle se rappelle qu'elle est entrée hagarde, dans ce qui, pour elle, était  associé, de près ou de loin, à un psychanalyste : la pharmacie. Quelqu'un, la pharmacienne sans doute, a pris très gentiment la jeune femme égarée par la main pour l'amener chez l'analyste, pour sa toute première séance donc. Vingt-cinq ans plus tard donc, elle est perdue, encore. Elle cherche la pharmacie, encore, mais la pharmacie n'est plus là depuis le temps. Elle ne se souvient pas qu'elle doit savoir où est le cabinet puisqu'elle s'y est rendu ensuite pendant des mois, des années peut-être ? Comme elle finit par comprendre que la pharmacie a fermé, elle laisse tomber, elle se retourne pour rentrer chez elle : le cabinet est là, pile quand elle se retourne (j'insiste sur le verbe). Combien de temps faut-il dans une cure comme celle-là, pour consentir à ce retournement (deuxième temps sur le nœud)? Elle prend rendez-vous, elle ne se souvient pas de lui, ni de son cabinet. Lui non plus ne se souvient pas d'elle, c'était il y a tellement longtemps. Ils sont pourtant là tous les deux, 25 ans plus tard, amnésiques, acéphales. Elle se souvient alors qu'adolescente, en cours d'athlétisme, elle refusait de sauter les haies, elle se cabrait devant la barre, comme un cheval qui refuse le saut d'obstacle. On entend bien sûr toute la polysémie de ce saut de « est ». A quelle condition donc peut-on franchir l'être ?  Elle se souvient  avoir dit à l'occasion d'un épisode dramatique de sa vie, dans le courant de sa deuxième analyse : « le pire, c'est que c'était tellement normal, mes parents regardaient leur enfant dévasté, le même que toujours, on était à la maison en quelque sorte ». Le fantasme, l'être, se refermait sur elle. Le destin, c'est une fermeture du fantasme en quelque sorte, un confinement du sujet dans le fantasme, c'est aussi ce qu'on pourrait appeler un traumatisme.

 

Une analysante évoque le jeu de tarot et la carte du pendu : « c'est ma carte » dit-elle « il est pendu, en fait il est suspendu, à l'envers, il est suspendu entre le haut et le bas ». Je reprends : « oui, il est suspendu entre les deux ». Elle répond : « ça n'existe pas l'entre-deux, il n'y a pas de vide ». Notons ici l'enjeu de l'entre-deux comme suspension de la fermeture sur la binarité du deux (cf nœud précédent), c'est à dire comme suspension de la fermeture sur un rapport sans vide. Qu'est ce qu'une « nouvelle économie psychique » ? Un « état-limite » ? Une « anorexie » ? Un « toxicomane » ? Un « non-binaire » ? Il arrive très fréquemment dans nos milieux si réactionnaires qu'on les regroupe dans une forme de déficit du symbolique. Il me semble que nous pourrions (que nous devrions?) proposer une autre lecture. Ce sont des patients modernes, caractérisés par l'acting-out. L'anorexie, par exemple, a une structure d'acting-out. Je vous rappelle le verbatim de cette patiente anorexique « je voulais montrer ce qu'on ne voyait pas »[11]. Qu'est ce que ça peut bien-être, vouloir dire une structure d'acting out ? Nous avons peut-être un indice de ce dont il s'agit dans le verbatim de cette patiente anorexique/boulimique, une patiente qui se scarifie, bref, ce qu'on  appelle une « nouvelle économie psychique ». Je la cite : « c'est une cure spéciale ... ça m'angoisse, je n'arrive pas à me figer dans un être fixe ». « Se figer dans un être fixe », c'est parfois, comme vous le savez, ce qui va jusqu'à tuer les anorexiques... « Se figer dans un être fixe », c'est peut-être ça le risque qu'encourent ces sujets à se refermer sur un nœud binaire, se figer « dans » une réalisation du fantasme en quelque sorte. C'est peut-être ça qu'agit cette analysante qui se faisait « sauter dans les toilettes » par un homme qui en aimait une autre chaste et pure. Se faire sauter donc, peut-être au sens terroriste du terme, là ou Dora, elle, se refusait et giflait monsieur K... Et effectivement, il semble qu'une grande part de la clinique contemporaine pourrait se lire comme une fermeture sur la binarité du nœud, par un acting du fantasme, par exemple sur le versant de ce que certaines jeunes femmes appellent leur « boulimie sexuelle », dans des rapports « non protégés » comme elles disent. Ce que nous pourrions appeler acting out, fermeture sur le fantasme donc, c'est aussi, peut-être la figure moderne et épidémique de la victime de trauma qui, elle aussi, « se fige dans un être fixe ».

 

Le plus intéressant peut-être, c'est qu'il ne s'agit, en fait, pas tout a fait du nœud dit « du fantasme » dans la fermeture par jonction que nous avons pratiqué. Il en a la structure binaire mais l'accouplement n'est pas le même, en tout cas si nous nommons les registres (ce qui est loin d'être une évidence, ce qui est peut-être même une erreur, l'erreur ontologique par excellence. La question fondamentale restant la binarité). Dans le nœud dit du fantasme, l'imaginaire et le symbolique sont mis en continuité, le réel les capitonne. Dans ce nœud-là, le réel et le symbolique sont mis en continuité, c'est l'imaginaire, c'est à dire le corps qui les capitonne. C'est le corps qui tient lieu de réel, d'où peut-être la pente a l'acting-out, à la performance à même le corps. Je ne m'attarde pas ce soir sur les manifestations cliniques de ce capitonnage par le corps, je me contente de vous renvoyer à la performance de Paul B. Préciado ou plus banalement à la psychopathologie de la vie quotidienne du tatouage ou des scarifications. La structure binaire du nœud du fantasme donc mais avec permutation de registres : cela pourrait nous éclairer sur les difficultés des analystes à situer correctement les registres et leurs articulations dans la non-binarité. Ca pourrait peut-être aussi nommer un autre nœud, un nœud binaire tout à fait contemporain : le nœud du trauma.

 

« Se figer dans un être fixe », dans un cadavre en quelque sorte comme le savent trop bien les anorexiques, se figer dans un repos éternel, c'est à dire déjà mort. L'objet du fantasme est fondamentalement un objet inerte, tout fantasme d'une certaine façon est un fantasme nécrophile, c'est ce qu'a trop bien saisit l'anorexique. Face au risque de fermeture sur un nœud binaire, pouvons-nous prendre au sérieux la suspension non-binaire, au delà du symptôme particulier de la non-binarité sexuelle ?

 

Le discours non-binaire nécessite d'être entendu pour s'articuler rigoureusement. Ce n'est pas, évidemment, un discours d'analyste, c'est un discours d'analysant, en quête d'identité bien sûr, c'est le propre d'un discours hors-analyse. Les psychanalystes ont-ils la responsabilité que cette pulsation éthique, non-binaire, ne se referme pas sur une quête identitaire aussi banale que fatale (binarité du nœud) ? La fermeture binaire est effectivement l'une des transformations possibles du nœud ouvert. La proximité avec la mise en continuité des trois registres (nœud de trèfle) est un enjeu de la cure. L'anorexie voisine bien souvent avec la paranoïa et exige un maniement de la dimension imaginaire dans la direction de la cure. Il est fondamental, me semble-t-il, de revoir notre copie et d'apprendre à écrire, aujourd'hui, à même le transfert, un grand Autre avec un petit a ou un petit Autre avec un grand A, c'est à dire d'articuler une dimension imaginaire non-spéculaire (cf nœud ouvert) dans le transfert. S'obstiner à percevoir les analysants modernes comme des handicapés du symbolique, s'obstiner à les entendre depuis le grand Autre (primat du symbolique), équivaudrait au mieux au déclin de la psychanalyse, au pire au « meurtre d'âme » de ces analysants, à même l'espace-temps de la cure (fermeture sur le nœud binaire). 

 

 

 

 

 



[1]   « le disséminaire », Serge Viderman, 1987, Puf

[2]   « Le nœud beau ? », E. Caruelle-Quilin, La clinique Lacanienne, numéro 30, 2019

[3]   ibid

[4]   « Le nœud beau ? », E. Caruelle-Quilin, La clinique Lacanienne, numéro 30, 2019

[5]   ibid

[6]   ibid

[7]   L'éthique de la psychanalyse, Lacan, 1959-1960

[8]   Ce que les non-binaires nous apprennent de ce qu'on attend d'un psychanalyste, Elsa Caruelle-Quilin, 2020

[9]   ibid

[10] Le Sinthome, Lacan, 1975-1976

[11] La construction du nœud, partie 1, Elsa Caruelle-Quilin, janvier 2021

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