Continuer ou reprendre ?


 

 

Par Franck Benkimoun

 

22.09.2021

 

 

         Je voulais partager avec vous quelques réflexions suite à la proposition d’Elsa au sujet de cette/ces différence.s entre reprendre et continuer.

 

         Pour des raisons personnelles qui pour certaines se sont éclaircies avec le temps, je n’ai pas pu continuer à travailler avec vous après l’enterrement de Marcel Czermak. J’étais affecté au-delà de ce que je pouvais l’imaginer ou pouvais m’imaginer.

         Mais il y a eu un événement qui m’a surpris par sa charge d’émotions et de tristesse. Est-ce parce que j’étais dans mon  bureau du cabinet d’orthodontie à relire l’intervention que j’aurai dû faire avec Laetitia pour la dernière de l’année à l’EPSA, dans ce lieu ectopique au cabinet psy que mes défenses n’étaient pas en place ? Certainement !

Je relis donc ce que je voulais proposer à l’EPSA et je suis envahi par l’émotion, les sanglots. Je voulais poser une question à MCZ sous une forme de blague : Existe-t-il le syndrome de Co-trop-tard ? Effectivement le TDK de cette jeune fille était «  trop tard …pour demander » ce qu’avait dit cette jeune patiente à Brest.

Face à cette violence de ne plus pouvoir poser ma question à MCZ, de rester avec dans ma bouche, au sens propre (dans ce lieu qu’est le cabinet d’orthodontie), j’ai réalisé que quelque chose n’aura pas et plus lieu.

        

        

         Le trop tard est venu faire irruption dans mon espace orthodontique.

         Temps et Espace.

 

         Or, cette Rencontre posthume avec MCZ m’a permis de prendre la mesure des coordonnées des rencontres antérieures. (La Majuscule de Rencontre et la minuscule des rencontres pour faire valoir la différence logique entre les rencontres).

Avant de présenter un TDK à Sainte Anne je me retrouve à déjeuner avec lui et EMG au café. Là, je comprends qu’il ne connaît pas bien mon nom, il l’écorche, m’imagine d’origine marocaine.

 

J’ose le lui dire et le remercie de me rappeler mon enfance et la cour d’école où les autres élèves me croyaient le fils du catcheur Benchemoul.

« Mon nom est Benkimoun, ma famille … je viens d’Oran, Algérie, je suis né ici en 1962 ». MCZ s’excuse et me raconte sa guerre d’Algérie. Pas celle de mon père ou de ma famille, la sienne. À part quelques films ou textes à l’époque, je n’avais d’entrées que familiales, traumatiques dans la guerre d’Algérie.[1] Ce n’était pas une guerre c’étaient des évènements d’Algérie. Il continue à me raconter la sienne, laïque, quelques mots d’arabe mais pas celle compactée par la charge émotionnelle familiale. Il était déjà trop tard pour questionner mon père.

 

Il est difficile de travailler ces questions du temps et de l’espace sans y mettre de son expérience personnelle. Mais au vu de ces éléments que je vous soumets à la discussion, du côté de ma famille : la vie a continué sur rupture d’espace dans un axe temporel imposé. Il leur fallait aller de l’avant. Je suis né ici et ils m’ont prénommé Franck. Je suis un pied blanc pas un pied noir. La Méditerranée est immense symboliquement.

 

Dans mon bureau, j’ai pu alors reprendre mon travail car dans cet espace ectopique ( ?) à la psychanalyse j’ai pu entendre la rupture dans le Réel du temps. Ces questions restées en bouche ne peuvent entretenir qu’un dialogue imaginaire ou un conversation à trois, mon père, MCZ et moi.

 

         Alors, sommes nous les mêmes une fois MCZ décédé ? Chacun répondra de sa place s’il le souhaite. Mais on pourrait jouer avec l’adage : pas tout à fait le même et pas tout à fait un autre. Cette phrase me renvoie à un article[2] que j’ai lu cet été au sujet d’une lettre que MAGRITTE a envoyé à FOUCAULT après la parution de Les Mots et les Choses.

Pour résumer : Magritte écrit « les petits pois entre eux ont des rapports de similitude, à la fois visibles (leur couleur, leur forme, leur dimension) et invisibles (leur nature, leur saveur, leur pesanteur)… les « choses » n’ont pas entre-elles de ressemblance, elles ont ou n’ont pas de similitudes. »

La similitude serait les rapports que les choses réelles peuvent présenter ; le caractère commun d’une série.

A propos de « se ressembler comme deux gouttes d’eau ». Magritte : cette soi-disant ressemblance  consiste en des rapports de similitude ; distingués par la pensée qui examine, évalue, compare. C’est l’esprit qui introduit entre elles plus ou moins de similitude. C’est la proposition de Magritte : la similitude est tel ou tel rapport donné entre les choses , la ressemblance est un « acte » de l’esprit appliqué à comparer les choses pour les connaître…il n’appartient qu’à la pensée d’être ressemblante. Elle ressemble en étant ce qu’elle voit, entend ou connaît, elle devient ce que le monde lui offre.

Déjà Quatremère de Quincy (1755) distinguait la similitude par identité de la ressemblance par l’image.

En aucun cas une image n’est à confondre avec la chose représentée… l’image d’une pipe n’est pas une pipe…. La pensée ressemble c’est-à-dire qu’elle produit de la ressemblance.

Ce qui permet de conclure l’article ainsi :

Magritte instaure un circuit qui va du côté du producteur  de la pensée à la peinture et du côté du récepteur de la peinture à tout ce qu’elle suggère, nature physique, image mentale, idée. Magritte refuse la peinture de l’invisible, la figuration des idées mais il offre à l’autre, à celui qui est condamné à l’altérité de la réception, motifs à toutes sortes de projections, de replis dans l’invisible de sa propre pensée …

 

         Cliniquement dans ce qui se joue dans le champ du spéculaire et du Stade du miroir : quand des patients après des chirurgies esthétique ou maxillo-faciale, disent « ce n’est pas moi, cela ne me ressemble pas », il faut y entendre un arrêt de cette capacité à l’acte de se penser. Il y a un arrêt sur image. Cette image spéculaire reste marquée durablement de l’altérité. Mais non d’une altérité pacifiée mais d’une altérité agressive et menaçante. Comme si la perte de la similitude en tout point empêchait de se ressembler.

 

         En conclusion, pourquoi la psychanalyse serait une pratique de l’altérité ? Je cite à nouveau Magritte : quant au théoricien, il métamorphose en pensée l’objet que lui propose le plasticien en employant une autre voie de communication mais le même moyen : « le commentaire ressemble indéfiniment à ce qu’il commente et qu’il ne peut jamais énoncer ».

Si la pensée ressemble et ne produit que de la ressemblance cela exprime la dimension imaginaire de la pensée. Nous ne pouvons être comme le récepteur de l’œuvre condamné à l’altérité de la réception mais nous devons nous positionner dans cette altérité, ne pas ressembler ce que dit le patient, c’est en partie de cela que notre position dans le transfert doit ne pas perdre de vue.

 

 



[1] Mon grand-père paternel a été assassiné par l’OAS devant mon père, après des menaces et le plasticage de leur appartement. Mes parents, mon frère et ma mère enceinte ont donc fui l’Algérie en secret sans prévenir leurs amis et sont arrivés le 1er/02/1962 sur le tarmac d’Orly

[2] Dominique Château : De la ressemblance : un dialogue FOUCAULT-MAGRITTE.

In : L’image – Deleuze, Foucault, Lyotard. Ed VRIN 1997

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